Richard et Ali

Richard Monvoisin est quelqu’un que j’aime beaucoup, même si des fois, vu sa production il doit être plusieurs, (voir ci-dessus) il n’y a pas d’autres explications..

Ici il a été invité à participer à une émission sur France-Inter « Grand bien vous fasse » Il livre sur FB  et sur son site ses doutes et le dialogue avec Ali Rebehi;;

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Devais-je aller dans « Grand bien vous fasse » sur France Inter, présentée par Ali Rebeihi de 10 à 11h ?
Vous vous rappelez peut être, j’ai reçu ça avant-hier
« Le jeudi 9 mars nous ferons une émission sur les croyances en le surnaturel en partenariat avec la fondation Jean Jaurès qui a fait une enquête sur la mésinformation des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal à l’heure des réseaux sociaux. En plateau il y aura Jérémie Peltier de la fondation Jean Jaurès, Abdu Gnaba, anthropologue (? j’ai regardé, je suis un peu inquiet) et Paola Van Grut, astrologue (il y a une faute dans son nom, c’est Pola, ça commence bien). Cette émission sera l’occasion de nous demander pourquoi certaines personnes penchent plus vers la croyance en le surnaturel ou en l’astrologie par exemple, que en le zététisme« . (sic)
J’allais répondre que non, puis je me suis dit que des avis divers me feraient peut être changer d’avis. Alors j’ai consulté vos avis sur les réseaux. Aurais-je dû le préciser, il ne s’agit pas pour moi de souscrire au vote majoritaire, mais de lire vos arguments. Et franchement, c’était très touchant de voir les votes et les réponses, qui sont toutes vraiment gentilles pour mon petit ego. Sur Twitter, presque 80% sont pour que j’y aille (sur 731 votes). Sur Mastodon, c’est moins de 60% (sur 59 réponses). Sur Facebook, c’est beaucoup de oui également mais je n’ai pas de proportion. Que des oui exprimés ou presque sur Instagram.

Parmi les retours que j’ai lus attentivement :

  • on me dit « vas-y, c’est une expé à vivre« . J’aurais peut être dû dire que j’ai derrière moi une grosse expérience, un gros cimetière d’émissions plus ou moins moisies, et que ma non-envie ne tombe pas du ciel, elle est étayée. J’ai déjà vécu ça !
  • on me dit aussi « vas-y c’est cool on t’entendra« , mais je ne sais pas quoi faire de ça (à par rougir) car je ne veux pas y aller pour que des gens convaincus m’écoutent
  • ou cette version : « vas-y, je n’ai plus rien à écouter de toi » . C’est gentil, mais c’est plutôt bon signe, non ? Si je n’ai rien à dire, je me tais. Bon, ceci dit, je viens d’enregistrer 6 épisodes pour Votre cerveau, sur France Culture, donc fin mars y aura quelques petits trucs. Et puis il y a le bouquin en audio que j’ai lu en entier avec mon pote David, sur la meilleure invention de l’Humanité.
  • Plus élaborée, proposition m’est faite d’aller pirater l’émission et préparer mes phrases chocs, pour les glisser quoi qu’il arrive. Je ne peux pas souscrire, je dénonce ce genre d’agissement car c’est la course à l’échalote : si les gens autour de moins gueulent plus fort, ou mieux, alors jusqu’où devrai-je aller ?
  • On me dit que si je n’y vais pas, c’est d’autres, peut être moins bien, ou moins doux, qui iront (c’est gentil) ; ou c’est faire la politique de la chaise vide, expression que je n’ai jamais comprise : je pratique la « politique de la chaise vide » partout où je suis incompétent, ou en désaccord, pas vous ?. On peut raisonner comme ça sur tout, absolument tout. Je dois devenir patron d’une industrie pharmaceutique, car je serai moins pire que Servier ou Sanofi par exemple ? Boaf boaf.
  • On me dit que « ça améliorera un peu l’émission » : mais le problème, c’est son incohérence sur le plan épistémologique. L’équipe de Monsieur Rebeihi donne l’impression que tout se vaut en psychologique, que c’est comme les goûts et les couleurs. Si on me demandait de passer une journée avec l’équipe pour discuter de ça, promis j’irai. Je n’ai pas envie de rendre moins pire l’émission : je voudrais qu’elle soit toujours au max, car j’aimerais que mes contemporain·es se sentent ou soignent psychologiquement bien.
  • On me dit que ces quelques minutes sceptiques prélevées entre une astrologue et des chroniqueurs qui partagent très souvent des points de vue et anecdotes personnelles, ça vaut quand même le coup. Pas sûr, car en y allant, je cautionne aussi un peu le format. Un peu comme le débat présidentiel le 20 mars 2017, lors duquel seulement 5 des candidats sur 11 furent invités sur TF1. C’était un peu la honte démocratique, vous vous rappelez ? Mais les cinq y allèrent (même Jean-Luc Mélenchon…)

Le seul argument qui fait mouche je trouve, c’est me demander de tenter de faire évoluer la compo et le thème de la table ronde. Sans cet argument, j’aurais décliné sans plus de réflexion. Alors j’ai tenté ça, et j’ai répondu ce midi. J’ai mis une plombe à peser mes mots, je me suis bien appliqué, mais… vous allez voir, ça n’a pas suffi.

Bonjour Mme Protat, Monsieur Rebeihi
J’ai pris le temps de bien soupeser votre invitation, qui flatte mon ego, mais… me met en porte-à-faux sur mon métier.
Certes, je suis l’un des spécialistes du paranormal et d’un certain nombre de sujets surnaturels, et je les analyse en cours avec les étudiant·es.
Mais j’explique aussi en amphi que mettre sur le même plan dans un débat un savoir accumulé de 3000 ans de science, dont je ne suis que le modeste représentant, et une pratique d’une discipline divinatoire (l’astrologie), qui ne représente que la pratique d’une personne) et ne parvient pas à apporter des preuves depuis des siècles, c’est une erreur conceptuelle maintes fois répétées sur tous les plateaux du monde. Un peu comme si on faisait débattre un prof de biologie et un curé créationniste, une physicienne et un des frères Bogdanoff, une criminologue et Stéphane Bourgoin, un chercheur en psycho et Jacques Salomé. Donc déjà, partager un temps égal avec une astrologue (aussi sympathique soit-elle) dans un bar serait un plaisir, mais sur une station publique ce serait de ma part une faute professionnelle. Il y a des livres (cf. Marianne Doury, éditions Kimé, qui dénonçait ça il y a 26 ans déjà) qui ont traité ce qu’on a coutume d’appeler désormais dans notre milieu un « débat immobile ».
J’explique aussi aux étudiant·es qu’il est très difficile de raisonner sur une question ou un constat mal posé. Or le sondage sur la mésinformation des jeunes par la Fondation Jean-Jaurès est un cas d’école de travail d’enquête pour le moins médiocre – les critiques sont désormais nombreuses. Donc devoir dire devant le représentant de la fondation pourquoi le point de départ de l’émission est caduc, ça va manger mes quelques minutes d’entretien avec vous.
Ensuite j’ai regardé qui était le dernier intervenant, Monsieur Gnaba, dont je n’ai jamais entendu parler dans mon champ ces 20 dernières années – ce qui n’est pas un bon indicateur pour moi car je connais pratiquement tout le monde. De ce que je viens de voir, sur les adhésions / croyances des jeunes, je ne lui connais pas de travail spécifique. Et sur les points que je maîtrise, il professe des généralités très compatibles avec… tout ! Ce qui est assez typique chez les personnes qui ont quelque chose à vendre (http://sociolab.fr/ qu’il dirige, fait de l’anthropologie « commerciale » pour les grandes entreprises). Il a l’air d’intervenir fréquemment dans votre émission, sur des sujets aussi divers que l’astrologie (encore !) ou … les cadeaux de Noël 🙂
Donc, pardonnez la métaphore, tous mes feux sont au rouge. Et j’ai souvenir également de mon collègue Nicolas Gaillard  dans votre émission, il y a un mois, seul intervenant avec un discours qui se soit appuyé sur des démonstrations, réduit cependant à l’état de petit bouchon flottant dans un marécage de lieux communs sur la psychogénéalogie. D’ailleurs, je ne sais pas si vous imaginez les dégâts que cela créé, de donner du crédit à ce genre de méthode démontrée comme fausse : ça envoie les gens dans le mur.
Notez bien que je n’ai rien contre votre émission par principe ! Je l’écoute une ou deux fois par mois, et chaque fois, je vois des choses un peu solides, perdues au milieu de ce que certain·es appellent de la psycho-pop, ou dans des grilles de lecture très freudiennes et bien obsolètes. Il n’y a qu’en psycho qu’on voit cela, je ne connais pas d’autre discipline scientifique qui permette de tels grands écarts à s’en péter les adducteurs. Je vous en veux un peu, j’avoue, de mettre tout sur le même niveau, car ça désoriente complètement le public.
Donc si vous refaites quelque chose sur les croyances, je m’engage à vous prêter main forte. Mais il faut au moins partir d’un sondage de meilleure qualité (il y en a) et ne pas choisir des praticiens ésotériques pour en parler à côté de gens qui étudient le phénomène, ni des gens qui, aussi sexy ou bankables soient-ils, ne sont pas vraiment du domaine. Connaissant un certain nombre d’actrices et d’acteurs de mon champ, croyez-bien que je vous donnerai toutes les infos et contacts à ma disposition. Je vous assure qu’il est possible de faire une table ronde enflammée, sympathique et stimulante avec des gens qui ont vérifié ce dont ils parlent et qui n’ont rien à vendre. On peut être rigoureux, souscrire au service public, et être marrant. Mais avec un cadrage d’émission comme celui-ci, je serais étonné que quelqu’un·e parmi mes collègues donne suite.
A votre service, mais dans d’autres conditions que celles-ci
Amicalement
Richard Monvoisin
Ai-je eu raison d’écrire ça ? Vous me direz.
La réponse ne se fit pas attendre, je vous la montre, et j’espère qu’il ne m’en voudra pas.

Cher Monsieur,
Votre discours surplombant, méprisant, faussement badin n’engage que vous.
Notre émission n’a pas à rougir du nombre d’universitaires et chercheur/ de premier plan que nous avons reçu tout au long de ces sept saisons, de David Graeber à Carlo Ossola, dans des domaines divers.
Dans cette émission nous luttons contre le complotisme et les fausses croyances contrairement à vos allégations,

Ali Rebeihi

Je pense qu’il était très énervé, car il me l’a envoyé deux fois en une minute.

Alors j’ai un peu réfléchi. j’ai relu mon message pour voir si j’avais vraiment commis un impair (un peu rude, peut être pour Monsieur Gnaba ? Mais c’est ce que je pense). Vous me direz si c’est le cas, je n’ai pas grand mal à m’excuser. Toutefois…

Bien sûr, que mon message n’engage que moi – je ne vois pas qui il aurait engagé d’autre. Y ajouter des affects comme « surplombant » ou « méprisant », je sais bien qu’on peut ressentir des choses qui ne sont pas réelles ou pas volontaires. Mais je sais aussi que c’est une défense assez classique d’affectiver le problème là où ce n’est pas le propos. Ça permet de scénariser la critique, « ah mais vous dites ça parce que vous êtes arrogant / mal baisé / fascistoïde / police de la pensée / opposé aux rêves des gens, etc. »

Bien sûr qu’ils ont reçu des gens très intéressants parfois, je l’ai dit d’ailleurs.

Mais c’est la dernière phrase qui me convainc que sa réponse n’est pas très pro. Si je dirigeais une telle émission avec l’objectif de « lutter contre les fausses croyances » et que je recevais une critique de fond comme ça, je m’interrogerai un peu plus que les quelques minutes qui lui ont suffi à me répondre. Et faire une liste des théories périmées ou carrément néfastes abordées dans cette émission, c’est faisable, malgré toutes les déclarations de principe du monde. Je ne peux imaginer qu’il n’ait jamais reçu de critiques auparavant sur ce point – il avait déjà au moins reçu les miennes, d’ailleurs, j’avais déjà râlé quelques fois.

Je me suis dit « allez, j’ai peut être mal exprimé ce que je voulais dire, je vais ré-exprimer mon intention clairement ».

Alors j’ai écrit ça

Je ne souhaitais pas vous froisser, ni être surplombant. J’ai pris 2 jours à répondre, et je pensais sincèrement ce que j’ai écrit et je me suis appliqué dans ma réponse, qui n’est pas badine du tout, elle est très sérieuse

Il ne s’agissait pas de vous offenser, quel aurait été l’intérêt ? Je n’aurais pas passé autant de temps à réfléchir à ce que j’allais écrire et d’ailleurs je ne pense pas que votre émission ait à rougir – je n’ai pas écrit ça. J’ai écrit qu’elle était inégale.

Mais sur la psychogénéalogie par exemple, je ne vois pas trop comment ça lutte contre la désinformation (j’ai eu la même discussion à France Cuture la semaine passée, où ils rediffusaient un long cycle de 2005 vantant sans nuance cette technique obsolète)

Aurais-je mieux fait de décliner l’invit sans dire pourquoi ?

A bientôt peut être, Monsieur Rebeihi. Il n’y a rien de personnel là-dedans

J’aimerais vraiment bien qu’il me réponde et qu’on puisse discuter.
(Voyez, si j’avais voulu être tranquille, j’aurais fait ce que vous m’avez dit, je serai allé là-bas, et et ma boulangère m’aurait reconnu et offert un croissant, et tout le monde aurait été content).

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